Thibaut Derien est né à Lorient en 1974 en Bretagne mais a grandi en Normandie. Premier dilemme. Doit-on verser du chouchen ou du calva dans son biberon ?
Il pratique la photographie depuis le temps du lycée. Il travaillait alors le samedi après-midi dans la boutique du photographe local qui lui offrit son premier appareil.
Auteur et interprète de quatre albums, Thibaut Derien a troqué la musique et les mots pour le silence et l’image. Il a retrouvé sa première passion : la photographie. Sa série de photos de J’habite une ville fantôme a vu le jour pendant ses tournées.
« Entre le moment des balances, le réglage du son avant un concert, et le concert lui-même, il y a souvent quelques heures à tuer. J’en profitai pour visiter les villes où l’on était et j’ai commencé à photographier ces boutiques fermées sans trop savoir pourquoi au départ. Elles me touchaient, simplement. C’est au fur et à mesure de l’avancement de ma « collection » que j’ai commencé à créer cette ville fantôme dont je suis le seul habitant, en réponse à une France que je trouve laide. Derrière ces magasins fermés aux typos et devantures singulières, ces rideaux de fer tirés, je parle surtout de cette France des ronds-points et des centres commerciaux qui font se ressembler chaque coin du territoire. J’évoque la fermeture des bistrots et la mort des centres villes où presque plus personne ne s’arrête et où l’on va jusqu’à supprimer les bancs publics. Bref la singularité disparaît, les rares enseignes qui subsistent en centre ville sont des chaînes, des banques ou des agences immobilières, et le reste se passe sur des parkings. Avec la disparition de la vie en centre ville, c’est surtout le lien social qui s’en va, et j’essaie de saisir, au-delà de la nostalgie et parfois de l’humour qui se cachent dans ces devantures de magasins fermés, une forme de vie en société ».
Thibaut Derien se consacre maintenant pleinement à la photographie. Il vit et travaille dans sa ville fantôme.
J’habite une ville fantôme
Éditions du Petit Oiseau
« J’en avais marre de la capitale. Trop de bruit, trop de gens. Et puis je ne supportais plus mes voisins. Je voulais changer d’air, et surtout de vie. » Aussi Thibaut Derien décide-t-il de créer sa ville fantôme, composée d’une collection photographique de devantures abandonnées, découvertes au cours de ses promenades urbaines.
« Je passais le plus sombre de mon temps affalé dans mon canapé, à refaire non pas le monde, mais l’endroit idéal où m’installer. Je m’imaginais alors vivant dans un petit village à la campagne, mais pour y avoir grandi, je savais déjà que les grands espaces n’étaient pas faits pour moi. Je me voyais repartir à zéro au bord de la mer, mais le vent et le cri des mouettes m’ont toujours tapé sur le système. Bref, je tergiversais.
Je me suis donc longtemps demandé où poser ces valises que je n’avais pas encore faites, jusqu’au jour où je suis tombé dessus, par hasard. Une ville sans voiture ni habitant, sans bruit ni mouvement, calme comme la campagne, reposante comme l’océan, mais sans nature.
Aujourd’hui je me promène en silence dans ces rues rien qu’à moi, où je n’ai qu’à me servir, où tout me tend les bras. Au début je me suis bien posé quelques questions : que s’était-il passé ici et qu’était devenue la population ? Exode rural, catastrophe naturelle, cataclysme écologique, peu importe finalement. Avec le temps j’ai appris à ne pas bouder mon plaisir, et la seule chose qui m’inquiète désormais, c’est de savoir combien de temps cela va durer. Je tue le temps, qui ne passe plus vraiment par ici, en imaginant toutes ces vies passées derrière ces volets fermés, ces rideaux de fer tirés.
Je suis comme perdu sur une île déserte, sauf que je n’ai pas envie que l’on me retrouve.
J’habite une ville fantôme. »
« Thibaut Derien appartient à une famille de photographes qui font de la photographie documentaire un art, de la trivialité du quotidien, un poème, et qui constatent avec effroi les mutations de notre société, ses laideurs contemporaines et ses splendeurs passées. Sa ville fantôme nous dévoile les ruines d’une société qui n’existe plus, nous met face à nos responsabilités et nous révèle à la fois la beauté qui se dégage de ses décombres. » Jawaher AKA